Voila déjà 6 ans qu'on vivait dans cette ville moyennement paumée. Je ne sais pas si à l'heure actuelle je peux dire m'y sentir bien. Est ce que je suis bien dans ma tête tout court? Bwof, je ne savais pas trop. Impossible de qualifier ça de crise d'adolescence, c'était un mal être profond.. Et une rancoeur tenace qui me bouffait de l'interieur. Une colère que j'avais souvent trop mal exprimé. Et surtout pas à la personne concernée.. Ma mère. Ben tiens, j'avais pas de nouvelles d'ailleurs. Elle avait essayé d'appeler, mais je préférais laisser le téléphone à chaque fois. Rien à dire.. Que de la colère et des questions que je ne saurais pas exprimer surement. C'était le bordel dans ma tête.

La dernière fois que je l'avais vu j'étais tout juste un gamin de 10 ans, encore occupé à collectioner des cartes et des figurines, un gamin tout fou qui rentrait de l'école avec les joues rouges comme de vraies tomates parce que j'avais joué avec mes amis au foot dans la cour avant de rentrer. Un gamin qui regardait les dessins animés sous son plaid spiderman avec une tartine de nutella comportant plus de nutella que de pain. J'avais encore un pyjama attroce de gamin. Est ce qu'elle me reconnaitrait seulement maintenant du haut de mon mètre 94, avec les muscles que m'avaient fait les séances de sport pour me défouler, un visage non plus enfantin mais de jeune homme comme disaient les gens. Mes cheveux plus courts qu'à l'époque, ma voix qui avait fini de muer y'a un moment..  Et ce regard, bien souvent vide.. Vide ou pas bien aimable, sauf quand il était changé par les effets d'une cigarette plus ou moins chargée en matière autre que du tabac. Elle devait avoir bien mieux à faire de sa vie, après tout elle n'avait pas pensé à nous quand son couple s'était brisé. Et je doutais qu'elle se soit battu contre notre père pour nous récupérer.

J'avais eu peur pendant des années de le voir disparaitre aussi, mon père. Se remettre avec une femme, et nous zapper totalement. Mais non j'avais eu plutôt de la chance, il n'était pas l'exemple même de la présence et de l'esprit paternel mais je n'avais pas non plus à me plaindre loin de la. Je sais que certains ont bien moins de chance. Et il a une patience plutot incroyable avec moi ces derniers temps, même moi j'avais envie de me cogner par moments.
Remettant mes cheveux chatains bruns en place je soupirais doucement en m'adossant contre un arbre, fouillant dans ma poche d'ou je tirais finalement une cigarette que je callais dans ma bouche avant de l'allumer dans la foulée, basculant la tête pour poser mes yeux sur le ciel étonnament bleu. Malgré les gens, tout était plut silencieux, et bon sang que ça pouvait faire du bien! Malgré mon attrait pour l'aventure et l'amusement, parfois souffler et pouvoir savourer le silence devenait un besoin. Je soufflais doucement, observant la fumée monter tout droit vers le ciel et croisait un bras contre mon torse, bien calé, un café à côté de moi, mon sac chargé de bouquins, appareil photo, casquette et lunette de soleil puis de quoi grignoter. Faut bien se nourrir, vivre d'amour et d'eau fraiche c'est que dans les livres!

J'inspirais longuement, tirant sur la cigarette calée entre mes lèvres. Je pouvais sentir la fumée dans ma gorge chaque fois que le bout de la clope devenait d'un rouge saisissant. Je soufflais ensuite jusqu'à n'avoir entre mes doigts qu'un petit reste de cigarette que je m'empressais d'écraser par terre pour être bien sur que ça ne puisse pas allumer un quelconque incendie. Manquerais vraiment plus que ça à ajouter à mon palmarès de conneries de ces derniers temps! Certes ce serait purement accidentel mais quand bien même avoir un casier judiciaire à mon âge n'était pas vraiment souhaitable, encore moins que d'aller en maison de correction par exemple. Je ne pensais pas être un si mauvais garçon que ça! Un peu perdu et dépassé peut être, mais pas méchant et ce malgré mes innombrables erreurs.

J'avais ensuite fouillé dans mon sac pour trouver quelque chose à grignoter, sortant une canette de coca cherry et un muffin au chocolat fait par mes soins la veille que je m'empressais de croquer en soupirant de bien être. C'était ça la vie, la vraie vie! En ouvrant la cannette je buvais une grande gorgée du liquide frais avant de reposer ma tête contre l'arbre derrière moi. Avec le calme des envrions, c'était tout simplement une journée parfaite à mes yeux. Ou du moins ça l'avait été depuis que j'étais la c'est à dire un petit moment. Et j'avais été bien loin de me douter de ce qui allait se passer, un sacré tournant dans ma vie, un choc digne de ce nom en revoyant ma mère que je n'avais plus vu depuis 6 longues années.

Mes yeux s'étaient relevés quand j'avais senti une présence se rapprocher de moi, je n'attendais pourtant personne et généralement les gens n'allaient pas tellement facilement vers les autres. J'avais alors enlevé mes lunettes de soleil afin de voir qui était venu troubler mon petit moment de tranquilité, mais la voix que j'avais pu entendre avait été un véritable éléctrochoc avant même que je puisse voir son visage. Oui je reconnaissait cette voix.. Je ne l'avais pas entendu depuis très très longtemps et je n'avais pas prévu de le faire dans les prochains temps d'ailleurs. Pas prêt..Pas envie. La peur peut être, allez savoir. La rancoeur.. La tristesse que j'avais ressenti petit quand toute ma famille s'était totalement brisée.

« Maman..? Qu'est ce que tu fais la? »

J'avais froncé les sourcils en me reculant un peu, sentant ma gorge se serrer, mon estomac se retourner alors que mon coeur battait à un rythme pas possible. Qu'est ce que j'étais censé faire maintenant que je me retrouvais coincé, et au pied du mur surtout.

« Papa sait que t'es la..? Qu'est ce que tu veux? »

Avais je finalement murmuré, pas très à l'aise même pas du tout.

Je ne pouvais pas m'empêcher de la détailler des yeux. Elle n'avait pas tellement changé au fond.. Je m'étais toujours souvenu de son visage parfaitement, ma soeur Roxy lui ressemblait un peu c'était certain. Elle avait de ces traits. J'avais ses cheveux clairs, mais j'aurais été incapable de dire à qui je ressemblait vraiment. Je devais avoir un peu des deux sans doute, les avis la dessus divergeaient. D'une personne à l'autre quand j'étais petit j'étais tantôt le portrait craché de mon père ou de ma mère. Mais au fond j'étais presque sur que les gens ne disent ça que pour faire plaisir de manière générale. Je soupirais doucement en me passant une main dans les cheveux, totalement dépassé par les évènements et ça me mettait dans une situation de stress pas possible.

« J'étais un gamin la dernière fois que tu m'as vu!»

J'avais croisé mes bras contre mon torse, elle avait manqué tellement de choses. Mon entrée au collège, au lycée. Ma première copine. Mes angoisses d'ado. La voix horrible que j'avais quand j'ai mué pour obtenir ma voix de maintenant, bien plus virile et masculine que ma voix de gamin. Elle n'avait pas été la quand j'avais été malade. Si elle avait été la, et que ma famille n'était pas tellement partie en sucette tout serait différent. J'aurais pas été si mal, ces dernières années.

« T'es désolée? Ouai t'as raison ça excuse tout d'être désolé. C'est tellement normal de laisser ses gamins derrière soi! T'étais ou quand j'avais besoin de toi?»

J'avais tous ces mots de colère qui me montaient dans la bouche et que j'avais envie de hurler, et en même temps cette envie de pleurer comme je l'avais tellement souvent fait quand mes parents s'étaient séparés et que je ne l'avais plus jamais revu.

« Non, mais c'est lui qui a notre garde. C'est lui qui s'occupe de nous depuis 6 ans. Alors il a le droit de savoir que t'es dans le coin quand même! »

Et surtout je voulais savoir si mon père était au courant qu'elle était en ville, il ne nous aurait pas caché ça quand même? Je fermais les yeux en penchant la tête en arrière, vers le ciel, crispant fortement ma mâchoire pour m'empêcher d'exploser au point de m'en faire mal aux dents, ou faire saigner l'interieur de mes lèvres.

« Tu crois pas que c'est un peu tard pour se battre? Je suis le seul qui n'est pas encore majeur. On a tous grandi. Mais me dis pas que tu m'aimes, parce que c'est faux, tu le sais et je le sais! Une mère qui aime ses enfants ne fait pas ça. Elle fout pas sa famille en l'air. Elle laisse pas ses enfants en arrière comme une page qu'on a tourné. Nous on a jamais rien demandé! On a pas demandé à naître non plus! Pourquoi t'as fais des gamins si c'est pour les abandonner dès que t'en as assez de ta famille? T'es une égoiste! Et t'as pas idée d'à quel point ça a foutu ma vie en l'air! »

Ca y est, c'était sorti. Et ça faisait du bien, et en même temps chaque mot était une lame de rasoir qui rouvrait les plaies du passé pas encore cicatrisées, alors qu'une larme roulait le long de ma joue sans que je puisse la contenir.

« Tu t'attendais à quoi? A ce que je te saute dans les bras en te disant que rien en compte? Qu'on va rattraper le temps perdu? Nan! Je peux pas! Je suis plein.. De colère! Depuis des années. De la colère, de l'incompréhension, du dégout, j'en veux à la terre entière et je peux pas m'en empêcher! La famille, ça craint! C'est tout ce que je sais à l'heure actuelle. Tu trouves ça normal? »