Il m’a fallu plusieurs semaines pour me convaincre de rester à Burlington. Je n’ai pas tout de suite aménagé mon nouvel appartement, ni même cherché un travail. Je voulais être sûr de pouvoir y avoir ma place. J’avais tout quitté à Quantico, et je dois avoué avoir pensé en partant que les retrouvailles s’avéreraient beaucoup moins compliqués qu’elles ne le fussent en réalité. J’avais croisé Jaime dès mon arrivée. Les retrouvailles ne furent pas très tendre, car comme d’habitude, lui et moi provoquions des étincelles, c’était comme ça. J’avais revu Roxy après ça. Je pensais qu’elle me pardonnerait plus facilement que ça mais ce ne fut pas le cas. Je me demandais même si je devais vraiment rester et ne pas baisser les bras. C’était dur, mais au fond, l’improbable arriva : Jaime me proposa d’acheter un canapé. Cela paraissait fou, mais c’est arrivé. C’est là que j’ai su que je ne devais pas abandonner si vite, que je leur devais bien ça à tous.
J’ai donc aménagé mon appartement, j’ai même trouvé un travail à l’hôpital ! Des traumatologues ça courrait pas les rues, surtout des gens comme moi, qui six ans auparavant n’était encore qu’infirmière. Il faut dire que ses six dernières années furent très difficile pour moi et le travail fut pour moi une porte de sortie afin d’oublier la triste réalité. Mais lorsqu’il ma fallut ouvrit les yeux, la chute ne fut que d’autant plus grande.

Et je suis là, pensive dans la rue, prête à m’acheter un café au Starbucks pour combler le temps. J’espérais pouvoir voir mes fils dans la journée. Mais je n’étais pas sûre du temps qu’il avait à m’accorder. Longeant les rues et les boulevards entre mon appartement et le Starbucks, je repensais à mon mariage. Ca n’avait pas été facile pour Charlie et moi, mais nous avions toujours tenus bon. Le plus difficile, je pense, c’est que nous ne parlions pas assez. Je n’ai jamais trop osé lui avouer ne plus supporter son absence. Je pensais que je tiendrais bon une fois de plus, mais j’ai craqué… Et pas de la bonne manière. J’aurais dû plus poser les mots sur ce qui n’allait pas. Oser lui dire tout ce que je voulais, ne pas mettre de pincettes.

J’étais déjà arrivée au Starbucks, je commandais mon café, puis en sortie aussitôt. J’avais peut-être fait une sortie un peu trop fracassante, puisque je ne compris pas trop ce qu’il m’arrivait, mais je fus violemment propulsé, me retrouver sur les fesses dans le caniveau, du café brûlant plein la robe. Je m’apprêtais déjà à râler, jusqu’à ce que je découvre l’identité de mon bousculeur : Charlie.
Oui, c’était lui, malgré ces six années, je l’aurais reconnu entre mille ! Il était devant moi, en chair et en os…

Je ne m’attendais pas à ce retour en arrière si soudain. Fesses contre le bitume, j’observais ahurie ce fantôme du passé. Le choc de cette rencontre inattendue avait totalement détourné mon attention de la douleur qu’avaient provoquée les brûlures de café. A en juger par son faciès, je n’étais pas la seule à demeurer surprise de cette rencontre, peut-être que la seule différence qui résidait entre lui et moi était que je savais que tôt ou tard je risquais d’être amenée à le rencontrer, contrairement à lui qui ne devait peut-être pas être encore au fait de mon aménagement à Burlington.

Il finit par m’inviter à me relever, en me tendant la main. Je mis quelque seconde avant d’y apposer ma main, n’étant pas préparée à cette proximité que nous n’avions pas eue depuis six longues années. Le contact de sa main me déstabilisait totalement, je ne savais que trop peu quoi lui dire. Il y avait six années de cela, je l’avais trompée avec un médecin, je me sentais que trop seule dans ce monde. J’aimais mes enfants plus que tout, et n’avait jamais eu l’intention de les blesser, mais l’annonce brutale de mon erreur me retomba sur le nez. Les enfants avaient tranché, je ne les reverrais plus, ils partaient vivre auprès de leur père chéri. J’étais à la fois honteuse, désolée et agacée par leur réaction. Bien que mon erreur était impardonnable, personne n’avait cerné le vrai fond du problème : durant toutes ses années je lui avais été dévouée, j’avais élevé ses enfants du mieux que je pouvais, et une fois ceux-ci grands et un peu moins présent à la maison, j’avais craqué, cédant à la tentation d’un cœur pour venir réchauffer le mien. J’avais aimé Charlie, de tout mon être, mais je ne supportais plus ses absences. J’aurais dû dialoguer avec lui, ne pas attendre de franchir les limites… Mais tout cela aurait-il vraiment changé la donne ? Comme m’avait dit Jaime il y a peu, je suis au plus profond de mon être une princesse qui n’attend que d’être choyée.
Au fond, ce qui me déplore le plus en le revoyant en chair et en os, est de l’avoir fait souffrir. Mais j’ai mangé mon pain noir et c’est aujourd’hui que j’en prends réellement conscience : tout le monde m’a tourné le dos, mes enfants, ma belle-famille, certains amis… Pas une seule fois Charlie n’a dû se remettre en question… Je sais que je suis égoïste, après tout, je l’avais piqué en plein cœur, il ne pouvait faire autrement que de me le faire payer d’une certaine manière… Rare fut les occasions où il tenta d’arranger les choses avec les enfants… Tout ce que je voulais, c’était au moins ça, ceux pour quoi je me suis tant investie durant ces longues années. J’étais traînée dans la boue pour cette grossière erreur, certes, mais erreur que je jugeais compréhensive…
Mes yeux azur se plongèrent dans les siens, et ne sachant que trop peu quelle expression faire apparaître, je laissai sortir une pointe de tristesse, qui s’accompagna de quelques étincelles de colère. Je savais que je n’avais pas le droit de lui en vouloir car le merdier dans lequel j’étais embourbée était de ma faute. Je me relevai, accompagné par la poigne de mon ex-mari. J’en avais presque oublié la saveur de cette poigne masculine. Je lâchai sa main, ne le quittant pas un instant du regard.

« Bonjour... Charlie... Je n’aurais pas cru te rencontrer dans ces conditions… Six ans hein… »

Je ne lâchai pas mes yeux des siens, observant sa réaction. Je ne savais pas quels étaient les mots justes, mais tentai tout de même de me montrer courtoise.

« Tu es en permission ? Comment vont les enfants ? »

Je marquai une pause, me demandant un instant ce qu’il pouvait bien être advenu de lui depuis toutes ses années. S’était-il remarié ? Avait-il eu d’autres enfants ? Travaillait-il toujours pour la même base ? Tant de questions qui demeuraient toujours sans réponse.

« Et toi… ? »