Je courais. Depuis une heure déjà. Un coup d’œil sur ma montre me l’avait appris. Il était deux heures de l’après-midi, le grand soleil chaud me crevait et j’allais finir par faire un malaise si je continuais, mais je ne comptais pas m’arrêter tout de suite. J’avais l’impression d’avoir dix fois plus chaud encore en m’arrêtant, sans ce petit vent frais sur mes joues que me procurait la vitesse. Tout en évitant un enfant d’à peine trois ans sur mon chemin, je remis une mèche de cheveux en place derrière mon oreille, expirant fortement. Je grimaçai en sentant ma gorge me piquer mais accélérai le pas, me concentrant sur la musique provenant de mon iPod. Eye of the Tiger de Rocky. La base, quoi. D’accord, faire du sport avec cette musique en fond c’était cliché, j’avoue. Mais au moins ça motivait, et c’était le principal.

On nous avait réveillés tôt, ce matin. Et comme d’habitude, je m’étais réveillée en sursaut en entendant cette voix d’homme nous dire qu’on avait plutôt intérêt à nous lever en cinquième vitesse si on ne voulait pas passer une heure en plus à l’entraînement. C’était agaçant, parfois, je vous l’accorde. Mais au fond, j’étais heureuse à l’armée. Cette discipline me faisait du bien et me rappelait tous les jours que je n’étais pas là pour rigoler. Si je voulais sauver le monde un jour, il fallait que je donne tout ce que j’avais, c’était tout simple. Après le réveil, on s’était préparés en deux temps trois mouvements pour finalement aller déjeuner encore plus rapidement. A sept heures battantes, rendez-vous sur le terrain d’entraînement pour une simulation de mission. J’adorais ça. C’était incroyablement physique et la plupart du temps j’avais plus aucune énergie après une heure de simulation, mais au moins j’avais l’impression d’avoir accompli quelque chose. C’est ce genre d’entraînements qui m’aideraient à me rendre utile dans la vie de tous les jours, alors je m’attelais à la tâche avec grand plaisir.

La musique dans mes oreilles changea. Heat of the moment, Asia. Je souris en entendant les premières notes retentir, parce que cette chanson me rappelait énormément de choses. Non, je ne vous dirai pas ce qu’elle me rappelait, parce que de toute façon ce ne sont pas vos affaires, et puis j’en ai simplement pas envie. En entendant un cri d’enfant derrière moi, je tournai la tête pendant quelques secondes, mais apparemment il n’y avait rien de bien grave, son grand frère avait dû lui jeter du sable dans les yeux. Je devenais parano, appar… OUCH. Je trébuchai et me rattrapai à la personne dans laquelle je venais de foncer, une expression choquée sur le visage. Une fois que j’eus retrouvé mon équilibre, je levai les yeux vers cette personne, le regard désolé.

« Excusez-moi ! Faut vraiment que… » Je m’interrompis, et une fraction de seconde plus tard, un sourire moqueur étira mes lèvres. Luke. « Ah bah non, si c’est toi je m’excuse pas, en fait. » Mon sourire s’étira, et je me mis sur la pointe des pieds pour lui faire la bise, un petit air d’emmerdeuse sur le visage. J’adorais l’embêter, celui-là. D’une voix mielleuse, je lui demandai : « Comment va le roi des emmerdeurs ? »

J’étais totalement essoufflée, mais j’arborais un sourire rayonnant. Bon, j’étais tout sauf présentable, en fait… mais tant pis, ce n’était que lui ! Je rangeai mon iPod dans la poche arrière de mon short rose clair et croisai les bras sur mon débardeur noir en l’écoutant parler, l’air joueur, un poil moqueur.  

La réponse de Luke me fit sourire d’un air malicieux. J’étais presque contente de le voir râler, parce que c’était mon seul et unique but. Bon, après je ne comptais pas non plus le pousser à bout, mais je savais qu’il était capable de supporter quelques remarques dans ce genre-là. Et après tout, il ne se privait pas de me rendre mes piques, alors je n’allais décidément pas m’arrêter. Par contre, je n’étais pas un poids lourd. L’air faussement vexé, le sourire aux lèvres, je lui répondis :

« Entre nous deux, je crois que le poids lourd c’est toi. Et sinon je vais bien, merci de te soucier de moi comme ça. » Je retirai l’élastique des mes cheveux et refis ma queue de cheval, tout en continuant : « Tu vas où comme ça ? Toujours aux études ? Je comprends pas comment tu peux avoir le courage de passer tes journées à l’intérieur devant des bouquins. »

Me retrouver enfermée entre quatre murs tous les jours, non merci. J’avais besoin d’air frais, du bruit des oiseaux, de la pluie sur ma peau… tout ça quoi. J’avais passé plusieurs années de ma vie à étudier, mais c’était fini, ça, désormais. J’avais enfin trouvé un moyen de me rendre utile, et ça me plaisait énormément. Je finis par tourner les talons pour accompagner Luke vers… l’endroit où il se dirigeait, décidée à ne pas le laisser filer.

« Comme j’ai rien d’autre à faire, t’auras l’honneur de ma présence pendant plusieurs longues minutes. Elle est pas belle la vie ? »

Je lui jetai un regard en coin, joueuse. Il n’avait plus qu’à prier pour que je lui lâche les baskets… chose que je ne ferais tout de suite, de toute façon !  
 

Trop intellectuel pour moi ? Pff, n'importe quoi. J'étais militaire, pas débile. J'étais tout à fait capable de comprendre ce qu'il me disait, et sa remarque aurait presque eu tendance à me vexer,  mais venant de Luke ça ne me dérangeait pas plus que ça au final. Il se foutait de moi, je me foutais de lui et c'était comme ça. Je levai les yeux au ciel, la mine agacée, avant de lui répondre:

"Je comprends tout à fait ton langage de philosophe, merci bien." Je haussai les épaules, puis poursuivis : "De  toute façon, voyager en vrai c'est bien mieux. Moi au moins j'aurai l'occasion de le faire grâce à mon boulot. Toi par contre..."

Je levai les yeux vers lui, un demi sourire faussement moqueur aux lèvres. En réalité, je respectais le fait qu'il étudiait et je savais très bien qu'il avait une belle carrière qui l'attendait. C'est juste que je ne comptais pas être gentille avec lui pour le moment, même si parfois j'en mourais d'envie. Je savais qu'il aurait pu être un super ami si on s'était comportés différemment tous les deux, depuis le début. Plutôt crever que de l'avouer, par contre. 
Je me mis finalement à le suivre et ce qu'il me dit m'arracha un sourire amusé. Ca sentait l'ironie à trois kilomètres, mais je savais qu'après tout ce n'était pas si ironique que ça. Enfin, je n'en étais pas sûre à cent pourcent, mais si ma présence l'avait agacé, il me l'aurait déjà fait comprendre. Vous voyez le truc ? Pour l'ennuyer, je passai mon bras autour du sien d'un geste ferme. 

"Et sinon, c'est quoi que tu fais, comme pratique? Pas que ça m'intéresse vraiment, c'est juste pour combler l'horrible silence qui risque de s'installer si je te pose pas cette question." Je souris intérieurement, totalement ravie d'avoir trouvé quelqu'un à emmerder.