Je venais de prendre la première décision de ma vie, j'allais vivre à Burlington. Autant c'était une grande décision, autant je n'avais jamais eu la chance de m'exercer à prendre des décisions, j'espérais avoir fait un bon choix, ça me rendait nerveuse. Il faut dire que j'avais de bonnes raisons de l'être, je n'avais même jamais pris la décision de ce que j'allais porter, manger, penser. Toute ma vie, on avait décidé pour moi, toute ma vie on m'avait imposé des choix qui n'étaient pas les miens. Mais aujourd'hui, ça allait changer, ou plutôt ça avait déjà changé, il y a 2 jours, quand, en pleine nuit, je m'étais enfuie de l'internat religieux où j'avais été recluse toute ma vie. En fait, depuis ces deux jours, j'avais pris sans cesse des décisions, qui me menait aujourd'hui ici, à Burlington. Et il ne m'avait pas fallut longtemps pour prendre goût à cette liberté nouvelle de pouvoir tout choisir. Chaque choix que je faisais, chaque décision que je prenais augmentait d'autant plus mon sentiment d'exaltation. J'avais maintenant une vie, une vraie vie, où il pourrait m'arriver des tas de choses plus excitantes les unes que les autres.
Et quand je passai devant le Mcdonald, que je reconnut ce gros M, cette insigne que même moi, je connaissais, de par la télévision, mais je la connaissais quand même, je n'eût qu'une envie, celle d'y entrer. Parce que bien que la télévision était plus que contrôlée, nous la regardions quand même, c'était notre moment magique. Toutes les pensionnaires s'y retrouvaient, s'entassant, dès que c'était permis, pour rêver, s'imaginer ailleurs vivant des aventures par l'intermédiaire de cette petite boîte qui nous apprenait ce qu'était le monde. Et ce que nous préférions, c'était les publicités, nous nous imaginions chimères, tantôt s'imaginant être la fille qui vendait des parfums de luxe, tantôt celle qui mangeait un hamburger-frites chez McDonalds. Cela peut apparaître futile, mais c'était notre plaisir à nous, qui nous faisait sentir que nous vivions, que nous étions libres de faire et penser ce que nous voulions. Comme un sentiment d'espoir, qu'un jour, notre vie changerait, qu'elle serait meilleure et plus amusante. Je n'ai aucun doute que les filles avec qui j'ai partagé ces moments s'y adonnent encore, et sûrement rêvent de ce que moi je fais aujourd'hui, moi qui ai osé partir. Elles en crèvent de jalousie, probablement, mais il n'y a que moi qui ai osé le faire. Quitter tout ce que je connaissais pour faire face au monde dont j'en savais très peu, chaque heure qui passe depuis que je suis partie, me renvoie un message chaque fois plus percutant : Angel, tu ne connais rien de ce monde, rien.
L'odeur des hamburgers et des frites me tira de mes souvenirs. Je n'avais pas mangé depuis la veille et j'étais plus qu'affamée. J'en avais l'eau à la bouche, je n'hésitai pas longtemps avant de pousser la porte du McDonald. Des menus étaient affichés au-dessus du comptoir, des hamburgers tous plus appétissants que les autres, des frites, des Milk-shake, tous me faisait envie, j'étais dépassée par toutes les options qui se présentaient à moi, qu'allais-je prendre.
Il y avait quelques personnes devant moi, ça me laissait un répit. J'étais désemparée devant l'ampleur des choix et mon tour approchait, la file diminuait rapidement. On me prendrait pour une arriérée si je n'arrivais pas à passer ma commande comme tout le monde. Je me sentais un peu mal à l'aise, j'avais presque envie de sortir et de laisser tomber, mais l'envie d'enfin manger un hamburger-frite chez McDonald fut plus forte. De toute façon je ne pouvais pas reculer à la moindre petite contrariété, je devais foncer, j'aurais sûrement à revivre cela bien des fois, ce sentiment, d'avoir l'air idiote devant les gens. Il fallait que je passe par-dessus si je voulais apprendre la vie. Et ça, c'était indéniable, je voulais apprendre la vie.